Cet article fait partie d'une série explorant les symptômes naturels apparaissant au sein d'une équipe technique qui collabore au développement — principalement informatique — d'un produit. On y explore le lien avec des modèles issus de la psychologie du code, travaillée dans notre programme d'accompagnement du même nom.
Le diagnostic
Le symptôme de la peer review qui stress s'exprime souvent dans une situation du type : « je sais qu'une peer review est une étape importante du processus permettant de trouver les bugs avant qu'ils aillent en prod, mais c'est pas pour autant que je suis à l'aise à l'idée que d'autres me jugent…"1
À l'origine de l'apparition de ce symptôme, il y a plusieurs facteurs,2 mais surtout un majeur : le refus de l'erreur.
C'est lui qui va créer en moi un gros inconfort face à la possibilité, même vague, d'être pris en défaut.
Derrière cette tension, il y a plusieurs mécanismes, plus ou moins primitifs et plus ou moins conscients, qui s'activent. Je vais en exposer quelques-uns ici.
Dopamine, cerveau bayésien et dissonance
La première chose qu'on peut dire c'est que faire des erreurs crée de la souffrance chez nous, et à plusieurs niveaux.
À un niveau neurologique, notre cerveau fonctionne notamment grâce au circuit de la récompense. C'est un mécanisme primitif qui déclenche un shoot de dopamine — une hormone de plaisir et d'excitation — lorsque nous effectuons une action que l'on considère comme bénéfique pour nous. C'est un mécanisme de rétroaction positive ayant pour objectif de favoriser les « bons » comportements. Le revers de cette médaille est que ce circuit est à l'origine de beaucoup de nos addictions.
Lorsque nous faisons une erreur, on observe une baisse de la dopamine dans ce circuit. Cela se traduit par une sensation très déplaisante. Nous sommes donc programmés pour éviter les erreurs.
La peer review est typiquement une occasion dans laquelle on va « juger » mon travail. En tout cas, je le perçois comme tel. Et mon cerveau n'aime pas ça du tout ! Cela crée une dissonance cognitive.
À un niveau plus élevé, notre psychologie fait que l'erreur provoque de la souffrance. Bouddha en a parlé il y a des siècles déjà, mais beaucoup de grands philosophe et psychologues (notamment dans le cadre des thérapies cognitives comportementales) ont travaillé sur le sujet depuis : la souffrance apparaît dans l'écart entre ce qui est et ce que je voudrais qu'il soit. Cela vient heurter fortement notre illusion du contrôle !
Il y a encore d'autres facteurs qui provoquent ces effets-là, amplement explorés dans notre programme, mais je vous laisse avec ces deux principaux.
S'en sortir
Pour s'en sortir, il y a plusieurs solutions complémentaires, notamment de l'auto-coaching. En voici quelques exemples.
La première est de prendre conscience que je fais des erreurs, quel que soit ce que j'en crois.
C'est une vérité irréfutable. Par exemple, nous sommes soumis à de nombreux biais cognitifs qui nous jouent des tours, sans que nous en ayons conscience, voire alors précisément que nous en avons conscience. Les plus courants : biais de confirmation, coûts irrécupérables, effet Dunning-Kruger, fatigue décisionnelle, etc.
De même, notre cerveau fonctionne vraiment comme un filtre, car la bande passante des informations qui rentrent par nos sens est largement supérieure à la capacité de traitement de notre cerveau. Il doit donc faire du tri, et on maîtrise assez peu ce qu'il choisit de garder et ce qu'il choisit d'ignorer…
Il y a aussi le fonctionnement du cerveau qui privilégie le système 1 — intuitif, rapide, économe en énergie — au système 2 — plus réfléchi. Et encore d'autres !
La seconde est de prendre conscience qu'il est bon de faire des erreurs.
C'est parce notre cerveau fonctionne de façon bayésienne. Il se fait une idée a priori du monde, puis il collecte de nouvelles informations, et enfin il les intègre pour éventuellement en modifier sa représentation. Ceci nécessite de faire de nombreuses expériences, et donc de nombreuses erreurs, pour améliorer nos modèles mentaux et notre perception du monde. Des études3 ont par exemple montré que les meilleures équipes médicales étaient aussi celles qui faisaient le plus d'erreurs.
Si on accompagne ces changements de croyance sur nous-mêmes de technique de réduction de stress, comme par exemple la cohérence cardiaque ou le recadrage de la pensée, on obtient de bons résultats…
Travailler à la mise en place d'une culture de sécurité psychologique qui accepte ouvertement l'erreur afin d'en faire profiter tout le monde est aussi un pilier fondamental pour faire avancer l'équipe dans une direction plus productive et plus légère. Une peer review, est notamment l'occasion de découvrir comment d'autres personnes auraient résolu le problème qui nous était posé !
Comme pour tous les symptômes explorés ici, c'est quelque chose qu'on peut ressentir soi-même, ou observer chez un autre membre de l'équipe. Parfois, ça n'est pas du stress, mais un sentiment d'une famille proche, plus ou moins fort : tension, appréhension, peur, etc. ↩︎
D'autres facteurs mineurs peuvent être par exemple : l'identification, la difficulté de se mettre en posture d'apprentissage ou à considérer d'autres points de vue que le mien. Ceux-ci sont aussi abordés en détail dans le programme. ↩︎
Amy C. Edmondson, The fearless organization, 2019. ↩︎
Hugues